Le capitaine Keurque circulait sur son pont avec fière allure. Vaisseau de cent-dix pieds de long et vingt-quatre pieds de maître-bau volé par ses soins, il l'avait armé de quarante canons puis embauché plus de trois-cent hommes à son service. Il naviguait sur les mers tel un marin sanguinaire, se débarrassant de ses adversaires aussi facilement qu'une feuille poussée par un vent violent. Le capitaine Keurque n'était pas connu pour son intelligence, mais ces années d'expérience à naviguer entre la mer des Gardiens et la mer des Conquérants lui avaient appris une chose : plus rien ne pouvait l'étonner. C'était avec cette pensée qu'il regardait, stupéfait, un groupe d'humain apparaître du ciel, glisser dans ses voiles et tomber sur le pont.
Le Peyd'Hallauw, son navire, avait connu bien des batailles, des pillages et des tempêtes, mais jamais de telle pluie.
-Monsieur Spauque ! appela-t-il
-Oui, mon capitaine ? répondit son second qui tenait la barre.
-Venez me rejoindre, illico !
Les chevaliers se relevèrent en se secouant la tête. Ils regardèrent autour d'eux tandis qu'un cercle de sabres et de pistolet à silex les pointait.
-Alors, qu'avons-nous là ? sourit le capitaine du navire, abordant le plus de cliché possible avec sa jambe de bois, son crochet à la main droite, son cache-oeil et son chapeau orné d'une tête de mort. Deux humains, (il cracha en remarquant Xathote) un yordle et un géant avec des mains de fer. Belle pêche, mes amis !
Les pirates rigolèrent à la remarque. Xathote se relevait. Il se dépoussiéra le pantalon, regarda autour de lui et fit mine de compter à voix haute le nombre d'ennemi qui les entourait.
-Ah ! Il y en a bien assez pour tous les deux, que le meilleur des yordles gagne !
-Pari tenu ! s'écria Madwain.
Les pirates ne virent pas le premier coup venir. Madwain accueillit celui qui se tenait le plus près de lui en plein estomac, l'envoyant valdinguer à une dizaine de mètre de là alors que la musique s'élevait dans l'air.
-Et de un !
-C'est pas juste, j'avais pas annoncé le top départ !
Xathote retroussa ses manches et lança une météorite miniature sur un pirate aléatoire.
-Un !
Paladïn fonça dans le tas sans se faire prier, en dégainant directement ses lames. Caërwyn profita de la pagaille générée pour s'extirper de la bataille. Il monta sur le pont supérieur, sans faire attention à celui qui tenait la barre. Ce dernier avait l'air bien perturbé entre le désir de les rejoindre et son ordre de garder le cap.
-Permettez que je vous débarrasse ?
Caërwyn le jeta à la mer et, après un bref coup d'oeil à l'emplacement du soleil, tourna le bateau vers le nord-ouest. Paladïn vérifia les pontons inférieurs où dormaient l'équipe de nuit. Il se mit à frapper contre son bouclier en hurlant :
-Allez, debout matelots ! La compagnie des Chevaliers de l'Aurore Rouge vous remercie en espérant que vous avez passé un agréable voyage, mais nous nous voyons contraints de prendre possession de ce navire !
Quand le premier pirate se mit à le courser, suivi des autres, il remonta sur le pont. Les réveillés eurent à peine le temps de réaliser ce qu'il se passait que Madwain et Xathote les réceptionnèrent à la volée.
Caërwyn lâcha la bar et s'engouffra dans les ponts inférieurs. Il en ressortit quelques minutes plus tard, armée d'une chaise, de quelques chopes ainsi que d'une bouteille. Il s'installa sur la chaise qu'il tenait sur deux pieds, appuyées contre la rambarde, ouvrit la bouteille et se servit.
-Ben, tu fais quoi là ? demanda Paladïn en s'arrêtant devant lui.
-J'admire le spectacle, tu permets ?
La bataille -ou plutôt le renversement massif par-dessus bord- dura une heure. Les pirates avaient abandonné depuis bien longtemps l'idée de remonter à bord, préférant nager jusqu'à l'île la plus proche et vite oublier cette histoire dans une bonne cuvée. Le capitaine était le dernier à bord. Madwain le tenait par le col de sa veste alors qu'il tentait désespérément de lui assener des coups.
-Soyez maudits! Vous et toutes vos familles valoriennes !
-Ah non ! s'exclama Xathote. On avait dit pas les mamans ! Tu permets ?
Madwain acquiesça d'un signe de tête et Xathote lança une météorite sur le capitaine qui valsa à quelques mètres de là avant d'atterrir dans l'eau.
-Ce qui nous fait donc quatre-vingt-six !
-Hey ! s'exclama Madwain. C'était le mien, celui-là !
-Mais il était encore sur le navire !
-S'il était encore sur le navire c'est parce que je t'ai laissé le balancer par-dessus bord !
-Roh, bon d'accord, obtempéra le yordle. Quatre-vingt-cinq...
-Cent-huit pour ma part, sourit Paladïn.
-Cent-vingt-sept.
Le yordle regarda, abasourdi, son jungler se masser l'épaule.
-Cent vingt sept ?! C'est pas possible !
-Bien sûr que si. Les poings valent toujours mieux que la magie ! Plus rapides, plus efficaces, plus propres.
Il fit mine de se lustrer ses gants en prenant un air hautain.
-De toute façon, rougit Xathote, vous avez commencé avant moi ! C'est de la triche !
-On rage, petite boule de poils ?
Xathote poussa un cri qu'ils ne pensèrent pas réalisable par une aussi petite créature et sauta sur son jungler.
-J'ai une question, tout de même.
Paladïn avait pris une chaise et s'était installé à côté de Caërwyn.
-Hum ?
-Quelqu'un sait s'occuper d'un tel navire ?
-Pas moi. Et toi ?
-Pas vraiment non plus. Xathote, Madwain ?
-Non.
-Meh.
Ils firent silence quelques secondes, puis Paladïn soupira.
-Laisse-nous faire, s'interposa Madwain. On va s'amuser !
Accompagné de Xathote, il se dirigea vers la rambarde est, d'où la moitié des marins continuaient à nager vers la petite île que l'on pouvait apercevoir du navire. Il mit sa main en coupe soleil sur son front et plissa les yeux en scrutant les nageurs.
-Hum... Là , lui, celui-là ! cria-t-il subitement en pointant du gant un marin au haut rayé.
Xathote plaça un portail non loin de Madwain puis, après une petite concentration, en plaça un second au-dessus de l'heureux élu.
