L'Armada de la Rose glissait sur les eaux apaisées de la soirée. Le soleil chutait déjà vers l'ouest, derrière un mur océanique sombre. Le pont était beaucoup moins peuplé depuis la bataille, la plupart des pirates étant aux chevets des blessés, allongés aux ponts inférieurs sous le regard vigilant d'un chirurgien, seul médecin à bord. Paladïn était auprès d'Elyonah. La support portait une chemise légère, frissonnait face au vent frais de la soirée. Elle tâchait d'enlever les traces de brûlures que les balles avaient laissé sur son armure, certaines ayant même laissé leur empreinte physiquement, cabossant le fer à plusieurs endroits. Malgré les différentes marques, la support ne semblait avoir aucun problème à effacer les imperfections, armée d'un simple chiffon et d'une éponge humidifiée. De temps à autre, elle lâchait ses ustensiles pour appuyer sur les bosses à l'intérieur de son armure, lui rendant son aspect lisse et impeccable.
Paladïn enroulait ses poignets dans des bandages, comme Caërwyn avant lui. Faute d'équilibre entre les forces, ils avaient fini la bataille à mains nues, créant plaques de rougeurs et boursouflures sur leurs jointures de doigt ainsi que sur le dos de leurs mains.
-Qu'est-ce que c'est comme matière ? demanda-t-il à Elyonah.
-Je ne sais pas, mais je soupçonne du fer du mont Gargantuan, un antique alliage allié avec une infime trace de magie. L'armure est légère, souple, solide et en bonus, elle est quasiment toujours nickel.
-Ça doit coûter une blinde, ce genre de chose.
-J'ai obtenu cette armure durant mon ascension au Targon. Je ne pense même pas qu'elle irait à quelqu'un d'autre que moi.
Xathote les rejoignait. Il était le seul à ne porter aucune trace physique de la bataille, toujours aussi soigné qu'à son habitude. Par contre, de temps à autre, un éclair de fatigue traversait ses yeux, dévoilant de l'énergie qu'il avait employée dans la bataille.
Quelques-uns des pirates remontèrent sur le pont supérieur. Les plus habiles montèrent en haut des mâts pour ranger ou déployer certaines voiles, aidés par leur camarades au sol qui attachaient les cordes avec de complexes formes, rappelant aux chevaliers le travail qu'ils avaient dû effectuer pour naviguer jusqu'à Bilgewater, bien que leur vaisseau, alors plus petit, ne nécessitait pas tant de manoeuvre. En passant devant Elyonah, Xathote et Paladïn, les pirates souriaient, leur adressaient des signes de respects ou des salutations chaleureuses. Ils y répondaient avec sympathie, habitués à ce genre de choses à cause de leur célébrité croissante.
-Tu as vu comme ils te respectent ? souligna Xathote en regardant Elyonah.
-Ce n'est pas étonnant de la part d'un équipage qui a pour capitaine Miss Fortune. Ce sont des pirates, certes, mais ils ont compris que nous avons aussi beaucoup à revendre.
La discussion tournait en défaveur de l'attitude de Skau'tie, à la fois égoïste et sexiste, quand Paladïn fit une remarque, qui, malgré le fait qu'elle n'avait rien à voir avec la conversation, attira suffisamment l'attention de ses compagnons :
-Je suis le seul à avoir remarqué ça ?
-De quoi ? s'enquirent-ils.
-La joie des pirates et de Miss Fortune après la bataille.
-Gangplank et elle ne sont pas en bons termes, même s'ils leur aient arrivé de devoir s'entendre pour quelques affaires concernant Bilgewater, expliqua Elyonah. En quoi est-ce étonnant d'être heureux d'avoir mis son ennemi au plancher ?
-Oui, acquiesça le top laner. Sauf que là, ne va pas me dire que ce n'était pas du bonheur limite perverti.
Le yordle et la support restèrent silencieux.
-Elle l'a littéralement ridiculisé, continua Paladïn. Vous trouvez ça normal ? Moi non. Et si vous voulez mon avis, tout cela était trop théâtral.
-Un coup prémédité, devina Xathote.
-Pas pour Gangplank en tout cas, soupira le top laner en se souvenant de la tête rouge du pirate. Mais Miss Fortune ne semblait pas du tout improviser, croyez-en mon expérience dans l'art du théâtre.
-Depuis quand tu t'y connais en théâtre ? s'étonna le yordle.
Paladïn haussa des épaules d'un air innocent alors qu'Elyonah serrait les poings et les dents :
-Elle a fait en sorte que nous risquions notre peau et que nous éliminions ses adversaires à sa place.
-Mais heureusement pour Gangplank que nous étions là, sinon la League aurait perdu un champion à cette heure-ci.
Les trois compagnons levèrent la tête vers Madwain et Caërwyn qui marchaient vers eux.
-C'est logique, quand on y pense, poursuivit l'ADC. Elle nous aurait embarqués sur son navire en voulant affronter Gangplank. Sans notre aide, elle n'aurait pas remporté la victoire.
-Je ne pensais pas Miss Fortune comme ça, murmura Elyonah en repensant à son visage froid et cruel.
Et GangPlank non plus. M'aurait-il vraiment tué si Caërwyn n'était pas intervenu ?
Mais elle garda cette remarque pour elle, déjà plongée dans de sombres pensées. Elle partit la première s'isoler dans leur cabine, occupée par cinq hamacs suspendus les uns par-dessus les autres dans une pièce à part. Madwain lui emboîta le pas. L'adrénaline de la bataille enfin descendue, il ressentait de nouveau la désagréable sensation que lui fournissait le mal de mer.
Le navire avait déjà traversé plus des trois quart du trajet. La mer plate et les courants venant du Sud avait poussé l'Armada de la Rose à une vitesse ahurissante durant la nuit. Au matin, de fines vaguelettes cognaient contre les parois de la coque, rendant le voyage moins paisible. La rosée avait trempé le pont supérieur, l'air était humide et sentait le bois mouillé.
Une certaine tension s'était installée entre les chevaliers et Miss Fortune. Elle se tenait près de la barre, donnant des instructions précises à son maître navigateur. Son sourire, lui, était imprimé sur son visage depuis la veille. Elyonah la fixait depuis plus d'une dizaine de minute. Malgré les protestations de ses compagnons, elle finit par se lever et, d'un pas décidé, se dirigea vers la commandante de bord.
-Maintenant, ça suffit. Je commence à en avoir assez.
Sarah Fortune se retourna, lui lança un regard interrogateur suivit d'un léger «hum ?». Le navigateur s'éloigna des jeunes femmes, comme s'il avait senti l'orage gronder de loin.
-Faut dire qu'au début, je n'y croyais pas. J'ai du respect pour vous, en tant que femme et en tant que championne de la League. Mais que vous soyez le cerveau d'une telle machination m'horripile.
-Ouh, souffla la pirate. Continue, tu m'intéresses.
-Avez-vous vraiment fait en sorte que nous soyons sur votre vaisseau uniquement pour humilier Gangplank ?
Les chevaliers rejoignirent Elyonah, se plaçant en soutien derrière elle.
-Humilier est un faible mot, mais oui, c'est ce que j'ai fini par faire vu que vous m'avez empêché de le tuer, lui et son équipage de mollusque.
-Alors c'est donc vrai. Nous ne sommes que des pions dans votre jeu, voilà la seule raison pour laquelle vous avez accepté de nous prendre avec vous.
-Boom, headshot.
La moquerie de Miss Fortune fut accueillie comme un coup de marteau sur la poitrine d'Elyonah.
-Nous qui vous faisions confiance...
-Vous n'allez pas pleurer tout de même ? Je suis une pirate, pas la Sainte Charité. Vous croyez vraiment que j'allais perdre mon temps à aller sur cette île uniquement pour vous escorter jusqu'à Ionia ?
-J'ai failli y passer ! s'écria Elyonah. Si jamais la League...
-La League, la League, non mais écoutez-la à vanter les mérites de cet Institut ! Réveillez-vous un peu ! Ici, la League n'existe pas ! C'est la vie de pirate, fillette. Les lois existent pour être brisées, les dirigeants, pour être renversés.
-Qu... quoi ?
-J'en ai assez, s'écria-t-elle, sa voix mielleuse soudainement froide et dure. Je ne veux plus vous voir sur mon bâtiment. Et comme vous l'avez remarqué, je n'ai plus aucune raison de vous garder. Rafen !
-Oui, Capitaine ?
-Conduis-moi ces abrutis à leur prochain véhicule de luxe.
Elyonah voulut dégainer son sabre, mais elle fut stoppée net par Madwain.
-Arrête, je suis trop fatigué pour lutter maintenant.
Cet argument suffit à la calmer. Elle rangea son sabre d'un air sec et jeta un regard noir à Sarah Fortune, comme elle aurait jeté une malédiction :
-On réglera ça sur les Champs de Justice.
-Je vous laisse la vie sauve car vous m'avez permis de décrocher une victoire importante hier. Mais la prochaine vois que nos routes se croiseront, je serai sans pitié, dans la League, ou en dehors.
Elyonah ne dit rien, mais elle savait que sa haine était partagée entre ses compagnons. Rafen les amena à la chaloupe la plus proche, la détacha de ses liens et la laisser tomber à l'eau, invitant les passagers à gagner leur nouveau moyen de transport.
-Dans ma bonté légendaire, s'écria la pirate quand ils commencèrent à s'éloigner du navire, je vous ai laissé une paire de rame et je peux aussi vous indiquer que vous n'êtes plus qu'à un jour de l'île, par là.
Elle pointa son doigt vaguement vers le nord avec son sourire aux lèvres.
-Quelque chose me dit que cette approximation va fortement nous énerver, d'ici un jour, soupira Paladïn alors que Madwain s'emparait des rames. Il se mit à siffloter, le sourire aux lèvres malgré les évènements récents.
-Faut positiver. Au moins, on n'aura plus à manger à cette bouillasse dégueulasse ! dit-il en désignant un pont inférieur du navire dans lequel se tenaient les cuisines.
-Ouais, mais c'est facile à dire pour toi, vu qu'il t'en faut peu pour être heureux.
Le jungler haussa des épaules et sortit :
-Moi, tant que j'ai ML0-D...
Puis reprit ses sifflements en chantonnant.
Il en faut peu pour être heureux,
Vraiment très peu pour être heureux,
Il faut se satisfaire du nécessaire...
